
François De Rugy, Jean-Luc Mélenchon, Laurent Fabius… Vous l’aurez remarqué, le vote obligatoire est essentiellement une idée collectiviste proposée par des personnalités de gauche, et souvent d’extrême gauche. Toutefois, certains Français – de toutes les tendances politiques confondues – ont aussi en tête ce serpent de mer, lequel revient à chaque annonce record d’abstention lors des différents scrutins.
Souvent, les « pro vote obligatoire » tentent maladroitement de culpabiliser les mauvais citoyens que sont celles et ceux qui ne vont pas aux urnes, alors que « tant de gens sont morts pour ce droit ». Dans un second temps, ils estiment que le vote obligatoire permettra la mobilisation de ces abstentionnistes. En bref, la menace prévaut dans ce domaine. Mais enfin… Est-ce vraiment par paresse ou par oubli des combats passés pour la démocratie que beaucoup s’abstiennent ? Décryptage point par point :
I/ Le vote doit être obligatoire puisque beaucoup sont morts pour ce droit :
La première élection du président de la République remonte à 1848, avec comme vainqueur le futur Napoléon III, neveu de l’illustre Napoléon Ier. Elle faisait suite à des monarchies et des républiques où le peuple n’avait pas son mot à dire. Les grandes théories politiques et économiques émergeaient et il s’agissait, pendant très longtemps et avant le déclin idéologique de ces dernières décennies, de vrais débats sur le destin de la France avec des choix très divers et variés. Alors oui, le peuple voulait à juste titre être consulté, et décider de son destin.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? En quoi avons-nous de vrais choix dans un monde politique où, en permanence, on diabolise de préjugés les autres au lieu de débattre de fond avec eux ? N’êtes-vous pas d’accord que l’on nous vole chaque élection présidentielle depuis trop longtemps avec le danger du « fascisme mariniste » au lieu de parler de vision d’avenir pour notre pays ? Alors oui, beaucoup sont morts pour ce droit. Mais un droit n’est pas un devoir, sinon pourquoi ne pas pousser le délire jusqu’au bout et demander également à ce que tous les travailleurs aient l’obligation d’être membre d’un syndicat ? Après tout, beaucoup se sont battus pour cela, non ?
Et pourquoi ne pas demander aussi à obliger les gens d’acheter leur logement au lieu de le louer, sous prétexte que beaucoup sont morts pour obtenir le droit de propriété ? Bref, vous saurez analyser par vous-mêmes l’absurde dans cet argument fallacieux. Se battre pour un droit n’est pas, au risque de le dénaturer totalement, exiger qu’il soit transformé en devoir. D’ailleurs, un régime devient sérieux et efficace lorsqu’il accorde plus de droits qu’il ne prescrit d’obligations en temps de paix, selon moi. Autrement dit, l’inverse de ce que fait la France depuis François Mitterrand et de ses successeurs en soif de lois pour nous prouver qu’ils sont utiles. Pour preuve, l’excellente citation de Benjamin Constant : « La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaires« .
II/ Si les gens avaient pour obligation de voter, les résultats seraient différents :
Je le disais précédemment, nous avons une démocratie gangrenée par des stratégies qui reposent sur le modèle d’une entreprise, c’est-à-dire le chiffre avant tout. Qui aurait imaginé Charles de Gaulle ou Winston Churchill regardant des sondages pour savoir quelle position politique défendre, comme le fait Marine Le Pen sur l’UE ou d’autres sujets d’importance ? Au final, si l’on veut des candidats avec des convictions solides, on se voit tout de suite intéressé par les partis les plus fanatiques qui sont obnubilés par des combats pratiquement mystiques.
En définitive, vouloir de la politique sérieuse n’est jamais compatible, en France, avec de la politique réaliste ou du moins, qui ne soit pas purement dogmatique. Si tous les Français devaient aller voter, les résultats seraient les mêmes. Ou pratiquement. Puisque les campagnes de mensonges et de calomnies, mais également de pure communication sans fond, et enfin les temps de parole, ne changeraient pas d’un iota.
Et d’ailleurs, quelles sanctions naîtraient de cette loi liberticide ? Car certains pays ont essayé de petites sanctions, et donc inefficaces. Par conséquent, nous avons le choix entre l’inefficacité, comme en Australie où le montant de l’amende est ridicule, ou alors l’instauration d’une coercition poussée à son extrême avec des sanctions plus lourdes, et donc scandaleuses à souhait. C’est d’ailleurs face à ce dilemme que l’Italie a abandonné ce triste système en 1993.
III/ Oui, mais alors, quelle est la solution ?
Des propositions concrètes vaudront mieux qu’un paragraphe interminable, contrairement à l’analyse.
- La création d’une courte formation citoyenne générale et simplifiée qui présenterait les grandes lignes de notre système politique (les différents pouvoirs, le rôle de chaque élection…) et ses grandes institutions (comme le Conseil constitutionnel, le Sénat, l’Assemblée nationale, la Cour des comptes…). Elle pourrait durer une semaine, peut-être plus, en tout cas elle devrait être abordable et totalement financée pour que toutes et tous y aient accès sans la moindre difficulté. Car, comment vouloir participer à un système dont on ne connait rien, à moins d’avoir fait un cursus universitaire juridique ou Sciences Po auparavant ? Naturellement, cette formation serait la condition pour obtenir le droit de voter, et celles et ceux qui en seraient désintéressés ne seraient plus comptabilisés comme abstentionnistes, comme c’est le cas pour les mineurs. Et ce serait pleinement leur droit, et beaucoup plus avantageux pour eux que d’être montrés du doigt comme de mauvais citoyens. L’individu doit primer sur le citoyen, dans certaines circonstances. A ce propos, n’est-ce pas ce système de formation préalable obligatoire qui est en place, déjà, par rapport à la Journée défense et citoyenneté si l’on veut passer le bac ou son permis de conduire ? Ne voulons-nous pas des électeurs éclairés et réellement acteurs de leur vote également ?
- La mise en place plus régulière du référendum. Car je fais ici le pari que ce genre de consultation sur des sujets fondamentaux comme par exemple l’appartenance à l’UE, ou sur des sujets plus sociétaux, aurait largement plus voix au chapitre. Cette fois-ci, les électeurs ne seraient plus les otages obligés moralement de voter contre le fascisme, mais deviendraient des « citoyens acteurs » qui auraient à coeur de défendre réellement leurs convictions.
- L’instauration, via la Constitution, d’un temps de parole absolument égal pour tous les candidats à une élection pendant la campagne officielle, qui, pour l’élection présidentielle, devrait être naturellement rallongée (j’en parle mieux dans cet article : ici).
- L’interdiction de sondages, comme prévoyait la loi avant 2002, moins d’une semaine avant une élection. Et peut-être même pendant toute la campagne officielle. Cela mettrait fin aux débats interminables « je l’apprécie, mais je voterai pour un autre car il n’a aucune chance de gagner selon les sondages ». Comme je le souhaite vivement concernant pour les politiciens et l’élaboration de leur programme, le peuple français se doit de voter pour ses idées, et non pas en fonction du « cheval gagnant » qui remportera la mise selon des instituts qui se trompent très souvent (je renvoie au score final de Mélenchon en 2022, très loin de ce qui était annoncé dans les sondages). Je dénonçais, en outre, cette « sondocratie » dans un article publié ici.
- L’instauration du parrainage citoyen pour l’élection suprême, contrairement à l’actuel parrainage d’élus qui est purement cynique. Il faut permettre que toutes les tendances politiques soient représentées si un quota d’électrices et d’électeurs est atteint (afin d’éviter un trop grand nombre de candidatures, et surtout de candidats farfelus).
- La reconnaissance du vote blanc, qui aurait pour effet de mobiliser davantage. Quel serait le résultat en cas de victoire de ce vote ? Je l’ignore et le débat doit être ouvert, sachant que beaucoup de ses partisans proposent que l’élection soit annulée et reportée pour que les électrices et les électeurs fassent un choix, mais seulement lorsqu’ils sont convaincus. Cette mesure serait plus une garantie qu’une habitude, puisque je vois mal les électeurs l’utiliser de nombreuses fois.
- En dernier point, qui est plus un espoir philosophique qu’une vraie proposition : espérer que le peuple français ne se résigne plus, et qu’il sache se relever pour exiger autre chose politiquement.
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